Crise de l’énergie en Europe, les grands gagnants sont... ?

Depuis des mois, tout le monde redoute l’interruption du gaz russe. L’Europe s’y prépare, les Allemands la redoutent, et cette fois c’est fait : Nord Stream est à l’arrêt. Les uns justifient pendant que les autres contestent, mais quoi qu’il en soit, le gaz ne circule plus dans le gazoduc. Est-ce pour autant un drame économique pour l’Europe ? Nous ne le pensons pas, même si cela implique un ralentissement économique supplémentaire évident.

 

 

Le plan européen REPowerEU.

Depuis des mois, l’Europe se prépare à cette éventualité. L’Europe a souhaité réagir vite. Le 18 mai, soit quelques semaines après l’invasion russe en Ukraine et conformément à la demande des Vingt-Sept réunis les 10 et 11 mars à Versailles, la Commission a présenté le plan REPowerEU. Ce plan a pour objectif de réduire considérablement la dépendance de l’Europe au gaz russe, et de le supprimer totalement à l’horizon 2027. Il repose sur quatre piliers : économiser l’énergie, remplacer les approvisionnements russes par d’autres sources, promouvoir les énergies renouvelables, et investir dans de nouvelles infrastructures, notamment des terminaux gaziers.

Les contours de ce plan sont connus, mais une réunion de négociation entre Européens va se tenir le vendredi 9 septembre et les décisions qui en découleront seront communiquées par Ursula von der Leyen le 14 septembre.

Les marchés sont confiants dans les décisions qui vont être prises dans le cadre de ces négociations. Les chiffrages réalisés montrent que dans le pire des cas (c’est-à-dire un arrêt total de Nord Stream), nous devrions passer un hiver confortable. Le prix du marché du gaz trouverait un équilibre entre 215 et 230 € (contre 176 euros avec 20 % d’importation de gaz via Nord Stream). Tout ceci sera soumis à des aides de l’État, qui prendraient différentes formes et dégraderaient encore davantage notre déficit budgétaire. Mais ça, c’est une tout autre histoire !

 

 

Un contexte de crise énergétique sur le long terme.

Tout le monde voit cette crise sous l’angle de l’invasion russe en Ukraine et de différents arbitrages plus ou moins heureux de la part des différents gouvernements. « Lorsque le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt. » Ce proverbe chinois résume très bien le contexte.

Derrière cette crise, et de nombreuses autres qui se sont déroulées depuis des dizaines d’années, nous retrouvons toujours le même point d’ancrage : les pétrodollars.

Les pétrodollars ont fait de l’Amérique ce qu’elle est encore aujourd’hui, c’est-à-dire la première puissance économique mondiale. Place qu’elle souhaite conserver le plus longtemps possible. C’est ici que les rivalités s’exercent et devraient s’amplifier avec l’émancipation économique de la Chine, de la Russie et de bien d’autres pays. Durant des dizaines d’années, ils ont été contraints de fonctionner avec les règles du jeu de ces pétrodollars, qui leur convenaient plus ou moins. Ces obligations s’érodent au fil du temps avec l’émancipation économique de ces futures « grandes nations ».

 

 

Les pétrodollars, c’est quoi au juste ?

Le terme de pétrodollar ne qualifie pas une monnaie. Il s’agit simplement de l’échange de dollars américains contre des exportations de pétrole brut. En 1971, le président Nixon annonce la fin de l’arrimage du dollar avec l’or. Il s’ensuit un affaiblissement naturel du dollar, que les Américains cherchent à corriger en organisant de nouvelles sources de demandes de dollars à travers le monde. Ils cherchent à exporter leur dollar, ou à obliger les autres pays à détenir des réserves en dollars. C’est en 1979 qu’un accord-cadre est signé avec l’Arabie saoudite : « pétrole contre dollars ». Les Saoudiens sont contraints de vendre leur pétrole dans le reste du monde avec une seule devise : le dollar. Ils doivent par ailleurs recycler leur excédent « de trésorerie » en titres du Trésor américain.

En échange, l’Amérique apporte au Royaume saoudien une garantie de sécurité, par le biais de la force de frappe militaire américaine. Cet accord « pétrole contre dollar » sera par la suite exporté sur d’autres pays membres de l’OPEP.

Le dollar est devenu par ce biais la monnaie de réserve dans le monde. Mais la dédollarisation est apparue dès les années 1990 et ne cesse de se renforcer. L’Amérique est donc constamment à l’écoute de cette géopolitique mouvante, qu’elle doit gérer, pour ne pas dire manipuler, afin de stabiliser la force (ou la suprématie) du dollar.

Nous ne sommes par conséquent qu’au début d’un processus de crise de long terme, qui a toutes les chances de se renforcer au fil du temps. Ce point est capital, car il implique de fait les futures postures que seront amenées à prendre nos politiques sur des arbitrages économiques, géopolitiques, budgétaires, etc.

 

 

Les grands gagnants sont... ?

Selon la Commission européenne, les prix de l'énergie devraient rester élevés pour le reste de l’année 2022 et jusqu’en 2024-2025. Pour éviter une inflation énergétique durable, l’Europe doit donc agir rapidement et notamment sur des montants d’investissements très importants. Le compartiment des « utilities » devrait fortement bénéficier de ces investissements, mais tout dépend des plafonnements tarifaires qui vont être décidés par l’Europe. Le prix retenu par les marchés est d’environ 100 €/MWh (un plafonnement sur un prix inférieur serait négatif).

Au sein des utilities, les grands gagnants seraient les sociétés les plus sensibles à ces mesures, c’est-à-dire Verbund, RWE, Engie ou encore Iberdrola, etc.

D’autres gagnants vont apparaître, sur différentes filières énergétiques. L’hydrogène devrait largement bénéficier de ce contexte chaotique, tout comme l’uranium dont la demande ne peut qu’augmenter au fil de l’évolution de notre consommation d’électricité dans le monde. De nombreuses sociétés, que nous n’allons pas énumérer ici, sont présentes sur ces marchés.

Ce que nous devons surtout retenir, c’est qu’au sein d’une géopolitique chaotique, provoquant des désordres inhabituels sur les marchés financiers, de nombreuses idées d’investissements à fort potentiel sont présentes.

Un mot revient fréquemment dans les salles de marchés : « Sur les marchés, le soleil brille toujours quelque part ! » À suivre...