Accord commercial UE-USA : Trêve géopolitique ou marché de dupes ?
- Pascal Faccendini

- 28 juil.
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 29 juil.

Un accord a donc été trouvé. Entre les tweets matinaux de Donald Trump et les communiqués plus feutrés d'Ursula von der Leyen, l'Union européenne et les États-Unis ont mis fin, du moins pour l'instant, à une escalade commerciale qui menaçait de plonger l'économie mondiale dans une nouvelle zone de turbulences. On nous parle d'un "bon deal", d'une victoire de la raison. Mais en économie comme en politique, il faut toujours se méfier des apparences et regarder au-delà des poignées de main.
Alors, qui a vraiment gagné ? L'Europe a-t-elle sauvé les meubles ou a-t-elle signé une capitulation déguisée ? Cet accord n'est pas tant un traité commercial qu'un acte diplomatique dicté par un réalisme implacable. Et comme souvent, la facture est présentée à l'économie. Décryptage d'un accord aux multiples facettes, bien plus complexe qu'il n'y paraît.
Le coût économique : une pilule amère pour l'Europe.
Ne nous y trompons pas : à première vue, cet accord est loin d'être une bonne nouvelle pour les entreprises européennes. Le chiffre principal est sans appel : les exportations européennes vers les États-Unis seront désormais soumises à un droit de douane quasi généralisé de 15 %. Pour bien mesurer le choc, il faut se rappeler d'où l'on vient. Avant cette guerre commerciale, le taux moyen appliqué était d'environ 1,5 %. Nous parlons donc d'une multiplication par dix.
Ce n'est pas une négociation, c'est un rapport de force. L'accord entérine une dégradation massive des conditions d'accès au marché américain. Certains secteurs s'en sortent mieux que ce qu'ils craignaient. L'automobile, par exemple, qui était menacée par des surtaxes de 25 % à 27,5 %, atterrit à 15 %. C'est un soulagement, mais un soulagement coûteux. L'aviation civile semble être la grande gagnante, avec une suppression totale des tarifs sur les pièces d'avion. Mais pour la quasi-totalité des autres biens, la règle des 15 % s'applique.
Les modélisations sont claires : cet alourdissement tarifaire va peser sur l'activité. On estime que cela pourrait affaiblir la croissance de la zone euro d'environ un point de pourcentage. Dans une conjoncture déjà morose, cela pourrait nous rapprocher dangereusement d'une stagnation, voire d'une récession, notamment pour les économies les plus ouvertes et exportatrices comme l'Allemagne.
La logique cachée : la géopolitique avant toute chose.
Alors pourquoi ? Pourquoi l'Europe a-t-elle accepté des conditions qui ressemblent à une défaite commerciale ? La réponse n'est pas dans les manuels d'économie, mais dans ceux de relations internationales. Ce recul européen s'explique par une logique stratégique implacable : éviter le pire et préserver un alignement géopolitique jugé vital.
Éviter le scénario catastrophe.
Le pire, c'était un scénario noir : des droits de douane américains à 30 % ou plus, une escalade de représailles incontrôlée et une guerre commerciale totale. Contrairement à la Chine, qui dispose de leviers technologiques et d'un contrôle sur certaines chaînes d'approvisionnement critiques, l'Europe était plus exposée. Donald Trump aurait pu facilement étendre le conflit à des secteurs où l'UE est très dépendante, comme l'énergie ou les services numériques. L'accord permet donc d'échapper à cette politique de la terre brûlée. C'est moins une victoire qu'une limitation des pertes.
Le prix de "l'assurance géopolitique".
La véritable clé de lecture se trouve du côté de l'Ukraine. Pour Bruxelles, garder un Donald Trump, même récalcitrant, engagé aux côtés de Kiev est une priorité absolue. L'Europe a déjà dû faire des concessions, notamment en s'alignant sur l'objectif controversé d'allouer 5 % de son PIB aux dépenses de défense. Cet accord commercial est une pièce de plus dans ce grand marchandage.
En ce sens, les 15 % de droits de douane peuvent être vus comme le prix d'une "assurance géopolitique" face à la menace russe. Engager un bras de fer commercial impossible à gagner, pour un bénéfice économique devenu illusoire, aurait été une erreur stratégique monumentale. Dans un nouvel ordre mondial dominé par la force, le réalisme impose de revaloriser le coût du soutien militaire. L'Europe paie pour maintenir l'alliance.
Les zones d'ombre : entre promesses floues et menaces persistantes
Si l'accord fixe un cadre général, de nombreux détails restent à préciser. Et c'est dans ces détails que se nichent les futures sources de tension.
Des promesses qui n'engagent que ceux qui les écoutent
L'accord est assorti de chiffres mirobolants. L'Europe promettrait d'acheter pour 750 milliards de dollars d'énergie aux États-Unis et d'y investir 600 milliards. Soyons sérieux. Ces annonces relèvent davantage de la communication politique que d'un plan concret. L'Union européenne n'a pas le pouvoir d'imposer des décisions d'achat à ses entreprises privées. Même en maximisant les exportations américaines de gaz naturel liquéfié, les chiffres avancés sur l'énergie paraissent fantaisistes. Ce sont des déclarations d'intention destinées à flatter l'administration américaine, pas des engagements contraignants.
Le casse-tête pharmaceutique : la prochaine bataille ?
Un secteur reste particulièrement dans le viseur de Washington : la pharmacie. Si les produits pharmaceutiques sont pour l'instant soumis au tarif de 15 %, une enquête américaine au titre de la "Section 232" sur la sécurité nationale est toujours en cours. Pour l'administration Trump, les objectifs sont triples :
Relocaliser la production pour réduire la dépendance envers l'étranger.
Augmenter les recettes fiscales en rapatriant la production de pays à fiscalité avantageuse comme l'Irlande.
Faire pression sur les prix, en utilisant la menace des droits de douane pour forcer les laboratoires à réduire l'écart entre les prix très élevés payés par les consommateurs américains et ceux pratiqués en Europe.
Ironiquement, les entreprises pharmaceutiques américaines, qui ont massivement délocalisé leur production et leur propriété intellectuelle, pourraient être plus vulnérables que leurs concurrentes européennes. Ce dossier est une véritable bombe à retardement.
Et pour les États-Unis ? Un bilan en demi-teinte
Il serait faux de conclure que Donald Trump a remporté une victoire totale. D'abord, la base juridique de son offensive, une loi sur "l'urgence économique" de 1977, est contestée jusque devant la Cour suprême, ce qui fragilise l'ensemble de l'édifice.
Ensuite, cet accord aura un coût pour l'économie américaine. Les études menées lors des précédents conflits commerciaux sont formelles : ce sont in fine les consommateurs et les entreprises américaines qui paient la majeure partie des droits de douane via la hausse des prix. Cet accord va donc alimenter l'inflation, ce qui compliquera la tâche de la Réserve Fédérale.
Enfin, Trump n'a pas obtenu la capitulation totale qu'il espérait. Il a dû composer, notamment sur les semi-conducteurs et l'automobile. L'accord est un compromis, arraché par la force, mais un compromis tout de même.
Conclusion : une trêve, pas la paix
Cet accord UE-USA n'est pas un bon accord commercial. C'est un mauvais accord, mais qui permet d'éviter une situation bien pire. Il formalise une nouvelle réalité : les relations transatlantiques ne sont plus régies par le seul libre-échange, mais par un rapport de force où les intérêts géopolitiques priment.
L'Europe a fait un choix pragmatique et stratégique. Elle a sacrifié une partie de sa prospérité commerciale sur l'autel de sa sécurité. Elle a acheté du temps et de la stabilité dans un monde de plus en plus incertain. Le coût est réel, tangible, et sera payé par les entreprises et, à terme, par les consommateurs. C'est une trêve diplomatique financée par l'économie. Reste à savoir combien de temps cette trêve tiendra et quel sera le prochain chapitre de cette saga commerciale où tous les coups semblent désormais permis. À suivre...


