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L'équilibriste américain : Profits éclatants aujourd'hui, horizons orageux demain ?

  • Photo du rédacteur: Pascal
    Pascal
  • 19 mai
  • 7 min de lecture

Dernière mise à jour : 19 mai

Les marchés boursiers, et en particulier le S&P 500, semblent naviguer sur une vague d'optimisme. Le premier trimestre 2025 (selon les analyses récentes) a encore une fois démontré la résilience et la capacité d'innovation des entreprises américaines, avec des bénéfices par action (BPA) dépassant les attentes et une croissance à deux chiffres pour le deuxième trimestre consécutif. Les investisseurs applaudissent, les valorisations grimpent. Mais, comme un iceberg, la partie visible (les profits actuels) ne raconte qu'une fraction de l'histoire. Sous la surface, des courants puissants et potentiellement déstabilisateurs sont à l'œuvre, suggérant que l'économie américaine et ses actifs pourraient être sur une corde raide.

Alors, sommes-nous face à un optimisme justifié ou à la quiétude avant la tempête ? Plongeons ensemble dans cette dualité fascinante, en décortiquant d'abord la brillance des résultats récents avant d'explorer les nuages macroéconomiques qui s'amoncellent.


Acte I : Le scintillement des bénéfices, un S&P 500 en pleine forme ?

Si l'on s'en tient aux chiffres bruts du "T1 2025", le tableau est impressionnant.

Imaginez : 78% des sociétés du S&P 500 publiant un BPA supérieur aux estimations, un chiffre qui surpasse les moyennes historiques sur 5 et 10 ans. Mieux encore, ces bénéfices ont dépassé les attentes de 8,5% en agrégé, là aussi au-dessus de la moyenne décennale. La croissance "blended" des bénéfices s'affichent à un robuste 13,4%, marquant non seulement un deuxième trimestre consécutif de croissance à deux chiffres, mais aussi le septième trimestre consécutif de progression annuelle. Les revenus ne sont pas en reste, avec une croissance de 4,8%, signant un 18 ème trimestre consécutif d'expansion.

Le marché, logiquement, a salué ces performances. Les bonnes surprises ont été plus généreusement récompensées que d'habitude, tandis que les déceptions ont été sanctionnées avec une relative clémence. Des secteurs comme les Services de Communication (+23,9% au-dessus des estimations !), la Consommation Discrétionnaire (+11,5%) et la Santé (+8,8%) ont été les locomotives, avec des géants comme Alphabet, Meta, Carnival et Pfizer tirant leur épingle du jeu. La Santé, en particulier, a affiché une croissance explosive de ses bénéfices de 42,9%, bien aidée, il est vrai, par des comparatifs favorables.

Cependant, même dans ce concert de louanges, quelques bémols subsistent. Le ratio Cours/Bénéfice prévisionnel à 12 mois pour le S&P 500 à 20,5 flirte avec des sommets, dépassant les moyennes sur 5 ans (19,9) et 10 ans (18,3). Le secteur de l'Énergie, plombé par la baisse des prix du pétrole, a vu ses bénéfices chuter de 12,7%. Et si les entreprises ont majoritairement émis des guidances positives pour le T2 2025, les analystes, de leur côté, ont procédé à des révisions à la baisse des estimations de BPA plus importantes que la moyenne. Un signal d'alerte ? Peut-être. Surtout quand on considère que les prévisions de croissance des bénéfices pour l'ensemble de 2025 (9,3%) et 2026 (13,5%) restent optimistes.

Cette photographie, aussi reluisante soit-elle, ne doit pas masquer un paysage de fond en pleine mutation. C'est ici que notre analyse doit prendre de la hauteur.


Acte II : L'horizon s'assombrit, les vents contraires macroéconomiques.

L'économie américaine, qui a bénéficié d'un soutien budgétaire quasi ininterrompu pendant une décennie, arrive au bout de ce cycle. Et comme le dit l'adage militaire, il est plus facile de commencer une guerre que de la terminer. Cet adage pourrait bien s'appliquer aux guerres commerciales et, plus largement, aux ajustements structurels qui attendent les États-Unis.

1. La contraction budgétaire inéluctable et le spectre des tarifs douaniers.

Le gouvernement américain a un problème : il a besoin d'argent. La dette nette du Trésor frôle les 98% du PIB (30 000 milliards de dollars), les recettes stagnent autour de 17% du PIB tandis que les dépenses caracolent à plus de 23%. Le déficit, béant, oscille entre 6% et 7% du PIB. Dans ce contexte, les droits de douane, cette arme brandie dans la guerre commerciale, se révèlent être une forme insidieuse de resserrement budgétaire.

Pourquoi cette option ? Parce que les alternatives sont politiquement minées. Couper dans les transferts sociaux (Medicare, Medicaid, Sécurité Sociale) est une bombe à retardement électorale. Quant à une réforme fiscale bipartisane augmentant les impôts, dans un Congrès profondément divisé et allergique à de telles mesures (le souvenir de l'échec du plan Bowles-Simpson de 2010 est encore vivace), elle relève de la chimère. Restent les droits de douane, seule taxe pouvant être instaurée par décret présidentiel.

L'auteur de l'un des documents analysés estime qu'un tarif moyen initial de 22-23% (même s'il atterrissait finalement autour de 12-15%) représenterait un resserrement budgétaire de 1,5% à 2,0% du PIB. Qui paiera la facture ? Les consommateurs, in fine, comme pour une TVA. Ce n'est pas seulement un frein direct à la croissance ; l'incertitude générée par ces tarifs pèse déjà sur la consommation discrétionnaire et les plans d'investissement des entreprises. Une récession n'est peut-être pas gravée dans le marbre, mais un ralentissement marqué semble hautement probable. Les "vigilantes des obligations", ces investisseurs qui sanctionnent les dérives budgétaires, sellent déjà leurs chevaux.

2. Le revers de l'ère Reagan : Quand l'histoire rime en sens Inverse.

Ce qui rend la situation actuelle particulièrement préoccupante, c'est la comparaison avec le début des années 80. Les politiques économiques et la structure des portefeuilles d'aujourd'hui semblent être l'exact opposé de ce que nous avons connu sous le premier mandat de Reagan.

Souvenez-vous : entre 1980 et 1982, les États-Unis ont orchestré une relance budgétaire massive (baisses d'impôts, hausse des dépenses militaires) couplée à un resserrement monétaire drastique sous l'égide de Paul Volcker pour juguler une inflation galopante. À l'époque, les actifs américains étaient peu détenus par les étrangers. Une fois la logique des "Reaganomics" comprise, les capitaux ont afflué, propulsant le dollar à des sommets jusqu'en 1985.

Aujourd'hui, le film se joue à l'envers. Les actions américaines (environ 20%) et les bons du Trésor (environ 33%) sont largement détenus par des investisseurs étrangers, souvent sur la base d'un optimisme marqué. La politique budgétaire actuelle, notamment via l'impact des tarifs, s'apparente à la plus forte hausse d'impôts déguisée depuis 1968. Parallèlement, les contrats à terme sur les Fed Funds anticipent des baisses de taux de 75 à 100 points de base cette année. Si la combinaison reaganienne a fait flamber le dollar, il est légitime de se demander si son inverse ne le fera pas chuter.

3. "Team America" change de visage : Prime de risque et flux de capitaux en berne.

Au-delà des chiffres, c'est l'image même de "Team America" qui se fissure. La mondialisation, l'ordre international fondé sur des règles et la Pax Americana, qui ont longtemps rassuré les investisseurs, sont en perte de vitesse. Le mercantilisme, l'isolationnisme et le protectionnisme gagnent du terrain. Jadis perçue comme un stabilisateur de volatilité, la Réserve Fédérale voit son rôle concurrencé par des politiques de la Maison-Blanche qui, elles, sèment l'instabilité.

Dans ce contexte, les investisseurs non-américains pourraient exiger une prime de risque plus élevée pour détenir des actifs libellés en dollars. On observe déjà des signaux faibles mais préoccupants dans plusieurs secteurs :

  • Biotechnologies et pharmacie : Les coupes dans la recherche publique et les tensions avec les grandes universités pourraient affaiblir la compétitivité à long terme de l'industrie pharmaceutique américaine, traditionnellement axée sur le développement plutôt que sur la découverte fondamentale. Les talents académiques, eux, pourraient être tentés par des cieux plus cléments à l'étranger.

  • Défense : Dans un contexte de réarmement de la zone euro, les fabricants d'armement américains pourraient ne plus être le premier choix, les États-Unis étant perçus comme un partenaire moins fiable.

  • Énergie : Une politique favorisant le charbon pourrait entraîner l'exclusion des services publics américains des portefeuilles "bas carbone" de nombreux investisseurs institutionnels européens et asiatiques.

  • Banque, services juridiques et technologiques : Les gestionnaires d'actifs et entreprises étrangères pourraient réévaluer les risques liés à leurs prestataires américains et chercher des alternatives locales.

  • Tourisme : À l'approche de la saison estivale, les arrivées de touristes étrangers montrent déjà des signes de faiblesse.

Le sentiment des investisseurs mondiaux semble basculer d'un biais favorable, fondé sur une rentabilité et une croissance exceptionnelle, vers un attentisme prudent, voire une phase de rééquilibrage "Sell America". L'intelligence artificielle et la robotique sauveront-elles la mise ? Peut-être. Mais le soutien budgétaire dont a bénéficié l'économie américaine depuis une décennie touche bel et bien à sa fin.


Acte III : Naviguer dans la tempête – stratégies pour l'investisseur averti.

Alors, que faire face à ce tableau contrasté ? Les bénéfices solides du S&P 500 au "T1 2025" sont-ils le chant du cygne avant une correction inévitable, ou les prémices d'une nouvelle ère de résilience ?

La réponse est complexe. D'une part, les marchés peuvent ignorer les fondamentaux pendant des périodes surprenantes. La dynamique actuelle, portée par des résultats tangibles et l'espoir d'une politique monétaire plus accommodante, peut perdurer. D'autre part, les vents contraires macroéconomiques sont structurels et profonds.

Les analystes macroéconomiques sont "baissier sur le dollar", non pas à cause d'une simple analyse de guerre commerciale, mais en raison d'une analyse des flux financiers. La "guerre" qui se profile, selon eux, pourrait être bien différente et bien plus coûteuse que celle des tarifs.

Pour l'investisseur, plusieurs pistes de réflexion émergent :

  1. Prudence et vigilance : Les valorisations actuelles, notamment sur le marché américain, exigent une sélectivité accrue. L'optimisme ambiant ne doit pas occulter les risques sous-jacents.

  2. Diversification géographique et sectorielle : Si "Team America" perd de son attrait, d'autres régions du monde pourraient bénéficier d'un regain d'intérêt. De même, au sein du marché américain, la divergence entre les secteurs (cf. la sous-performance de l'Énergie face à la tech) va probablement s'accentuer.

  3. Focus sur la qualité et la résilience : Les entreprises avec des bilans solides, un endettement maîtrisé, un pouvoir de fixation des prix et une exposition internationale diversifiée seront mieux armées pour affronter la volatilité.

  4. Gestion active du risque : L'ère de la "complaisance" touche peut-être à sa fin. Une gestion plus active des portefeuilles, potentiellement avec des stratégies de couverture, pourrait s'avérer judicieuse.

  5. Vision à long terme : Les ajustements budgétaires et réputationnels que traversent les États-Unis, ainsi que les changements dans les flux de capitaux, sont des phénomènes qui se comptent en années, pas en mois. Il est crucial de ne pas réagir de manière épidermique aux soubresauts de court terme.


En conclusion : Une nouvelle donne ?

Nous sommes à un carrefour. Les performances éclatantes des entreprises américaines témoignent d'une formidable capacité d'adaptation. Mais les fondations sur lesquelles repose cette prospérité – soutien budgétaire massif, mondialisation fluide, leadership américain incontesté – sont en train de se modifier profondément. La prochaine "jambe" du marché, qu'elle soit haussière ou baissière, se construira dans un environnement radicalement différent.

L'investisseur avisé ne se contentera pas de regarder les chiffres trimestriels. Il lira entre les lignes, analysera les tendances de fond et se préparera à un monde où les certitudes d'hier ne sont plus celles de demain. La partie visible de l'iceberg est séduisante, mais c'est en comprenant sa totalité que l'on évite le naufrage. La guerre commerciale n'est peut-être que l'arbre qui cache une forêt de défis bien plus vastes pour l'économie américaine et, par ricochet, pour les marchés mondiaux. La vigilance est plus que jamais de mise. À suivre...

 

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