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Le Luxe en 2025, la fin de la possession, le sacre de l'expérience.

  • Photo du rédacteur: Pascal Faccendini
    Pascal Faccendini
  • 1 déc.
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 1 déc.

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Après l'euphorie, le temps de la métamorphose.

La grande fête du luxe post-Covid, cette frénésie d'achats que l'on a qualifiée de « Revenge Buying », est bel et bien terminée. Les chiffres sont sans appel et sonnent la fin de la récréation. Le marché mondial des biens personnels de luxe, ce baromètre de l'appétit des plus fortunés, s'apprête à atterrir. Selon la très attendue étude annuelle de Bain & Company, réalisée avec la Fondazione Altagamma, le secteur devrait atteindre 358 milliards d'euros en 2025. C'est un léger recul par rapport aux 364 milliards de 2024 et aux 368 milliards du pic de 2023.

Alors, le luxe est-il en crise ? Pas vraiment, car sous cette apparente stagnation se cache une mutation bien plus profonde, une véritable tectonique des plaques qui redessine les fondations même de ce qui fait la valeur. Le luxe ne meurt pas, il se transforme. Il passe de l'objet que l'on possède à l'instant que l'on vit. Décryptage d'une industrie qui, une fois de plus, démontre son incroyable capacité de résilience.


Le grand basculement, de l'avoir à l'être.

Le verdict est sans appel : le moteur de la croissance n'est plus dans le sac à main ou la montre au poignet, mais dans l'émotion et le souvenir. Si l'on élargit la focale à l'ensemble du marché du luxe, qui pèsera 1 440 milliards d'euros en 2025, on constate que les biens matériels marquent le pas tandis que les services s'envolent.

L'expérience, nouveau Graal de la consommation.

Regardons les chiffres de plus près. Le marché de l'automobile de luxe recule, celui de l'art contemporain stagne. En revanche, l'hôtellerie de prestige, les croisières ultra-premium, les jets privés ou la gastronomie étoilée affichent une santé insolente. Les yachts et les jets privés progressent de 9% en 2025, les croisières de luxe de 10%. La raison est simple : les consommateurs, et notamment les plus jeunes générations fortunées, ne cherchent plus seulement à accumuler des biens pour afficher leur statut. Ils veulent le ressentir, le vivre.

Ce changement de paradigme est structurel. Le luxe se définit désormais moins par la possession que par l'expérience vécue. On ne s'offre plus une voiture de sport pour la garer devant chez soi, mais on s'offre un voyage d'aventure, un safari exclusif ou une place au premier rang d'un événement sportif majeur. Le plaisir expérientiel l'emporte sur la consommation ostentatoire. C'est le passage d'un luxe de l'apparence à un luxe de l'intime, de l'« auto-récompense ».

Une géographie du luxe entièrement redessinée.

Cette mutation des comportements s'accompagne d'un bouleversement géographique. Les anciens pôles dominants montrent des signes de faiblesse, tandis que de nouvelles puissances émergent.

  • La Chine et l'Europe en recul : En Chine, les dépenses de luxe devraient chuter de 3 à 5 % en 2025. Les consommateurs locaux, plus matures, se tournent vers des marques locales plus accessibles et privilégient, eux aussi, les expériences. L'Europe, quant à elle, subit le contrecoup d'un tourisme moins vigoureux, d'un euro fort et de tensions géopolitiques persistantes. Le repli attendu est de 1 à 3 %.

  • Le Moyen-Orient, nouvel eldorado : La région la plus dynamique est sans conteste le Moyen-Orient, avec une croissance attendue entre 4 et 6 %. Portée par l'essor touristique de Dubaï et Abou Dhabi et une demande locale très forte en Arabie Saoudite, la région s'impose comme un hub incontournable.

  • Les Amériques stables : Le marché américain fait preuve de résilience, avec une croissance prévue entre 0 et 2 %, soutenu par une demande intérieure solide et le dynamisme du Mexique et du Brésil.

Ces nouveaux marchés émergents (Moyen-Orient, Amérique latine, Asie du Sud-Est) pourraient représenter à eux seuls 45 milliards d'euros en 2025, soit un poids quasi équivalent à celui de la Chine continentale. Une diversification géographique qui est aussi une assurance-vie pour le secteur.


Le consommateur, une équation de plus en plus complexe.

Qui achète encore du luxe aujourd'hui ? La réponse est loin d'être simple, car la clientèle elle-même se fragmente et se polarise.

Moins de clients, mais des "super-dépensiers".

Le premier constat est une contraction de la base de consommateurs. Elle est passée de 400 millions de personnes en 2022 à environ 340 millions en 2025. Le luxe dit « abordable », celui des petits accessoires qui servait de porte d'entrée, souffre. La clientèle aspirationnelle, sensible aux incertitudes économiques, se montre plus prudente.

En revanche, le sommet de la pyramide se porte à merveille. Les « big spenders », ces ultra-riches qui dépensent sans compter, n'ont jamais été aussi importants. Leur part dans le marché des biens personnels est passée de 30 % en 2019 à 45 % en 2024. En 2025, ils devraient représenter près de 47 % des dépenses totales. Pour les marques, la conclusion est claire : il faut choyer cette clientèle exigeante, qui cherche non pas des produits, mais de l'exclusivité, du service sur-mesure et des expériences uniques.

La joaillerie reine, la maroquinerie en peine.

Cette polarisation se retrouve au sein même des catégories de produits. Le segment le plus dynamique reste la joaillerie, avec une croissance attendue de 4 à 6 %. Pourquoi ? Parce qu'elle combine une forte charge émotionnelle, une valeur patrimoniale et un potentiel de personnalisation infini. C'est l'achat refuge par excellence.

À l'inverse, les segments historiques comme la maroquinerie ou les chaussures souffrent, avec des baisses attendues autour de 5 à 7 %. Ces catégories, très exposées à la clientèle aspirationnelle, font face à une demande de nouveauté constante et à une concurrence féroce, dans un contexte où les consommateurs sont plus attentifs aux prix.


Les défis colossaux derrière la vitrine dorée.

Cette résilience a un coût. Pour rester désirables et rentables, les marques de luxe doivent affronter des défis majeurs qui les obligent à se réinventer en profondeur.

Le premier défi est celui de la rentabilité. L'augmentation des coûts d'exploitation (matières premières, salaires, énergie) et la difficulté à maintenir une croissance soutenue pèsent sur les marges. Selon l'étude, les marges EBIT du secteur pourraient retomber à 15-16 % en 2025, un niveau que l'on n'avait plus vu depuis la crise de 2009. L'âge d'or de la profitabilité facile est révolu.

Le second défi est celui de l'identité. Face à un client qui achète une émotion, la marque ne peut plus se contenter de vendre un logo. Elle doit proposer un univers, des valeurs, une histoire crédible. L'avenir reposera sur un socle de valeurs claires : l'éthique, l'émotion et l'expérience. C'est ce triptyque qui sera le levier d'un succès durable.

Enfin, le secteur doit trouver le juste équilibre entre efficacité et désirabilité. L'intelligence artificielle peut aider à optimiser les opérations, mais elle ne remplacera jamais l'étincelle créative et l'excellence artisanale. Les marques qui s'imposeront seront celles qui sauront conjuguer le meilleur des deux mondes : une exécution opérationnelle parfaite, amplifiée par la technologie, sans jamais perdre leur pouvoir de fascination.


Conclusion, un luxe réinventé, prêt pour l'avenir.

Alors que retenir de ce panorama 2025 ? Que le luxe, loin d'être un colosse aux pieds d'argile, est un phénix. Confronté à un monde incertain et à des consommateurs en pleine mutation, il ne se contente pas de résister : il se réinvente. La crise actuelle n'est pas une crise de la demande, mais une crise de la définition même du luxe.

Le passage de la possession à l'expérience est bien plus qu'une tendance, c'est une lame de fond qui sépare déjà les gagnants de demain des perdants d'hier. Le marché se polarise, entre des ultra-riches en quête d'expériences uniques et une clientèle plus large qui arbitre ses dépenses.

À long terme, les perspectives restent solides. Les analystes anticipent une croissance annuelle de 4 à 6 % jusqu'en 2035, où le marché des biens personnels pourrait dépasser les 600 milliards d'euros. Mais pour y parvenir, les marques devront accepter d'avoir changé d'ère. L'avenir du luxe ne s'écrira plus seulement dans les ateliers de maroquinerie, mais dans les palaces, les grands restaurants et les confins du monde. Car le luxe ultime, aujourd'hui, n'est plus ce que l'on a, mais ce que l'on est et ce dont on se souvient. À suivre...

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