Le pari à 15 milliards de dollars de Novo Nordisk, comment un médicament pour maigrir pourrait vaincre Alzheimer.
- Pascal

- il y a 5 jours
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Le nouveau "ticket gagnant" de la pharma mondiale.
Dans le monde de l'économie et de la finance, il y a des entreprises qui suivent les tendances, et celles qui les créent. Novo Nordisk appartient sans conteste à la seconde catégorie. Le laboratoire danois, devenu en quelques années un titan boursier grâce à ses médicaments révolutionnaires contre le diabète et l'obésité, l'Ozempic et le Wegovy, est aujourd'hui au centre de toutes les attentions. Mais alors que le monde ne parle que de la perte de poids, l'entreprise prépare en coulisses un pari bien plus audacieux, un coup de poker scientifique et financier que ses propres dirigeants qualifient de « billet de loterie ».
L'enjeu ? Utiliser sa molécule star, le sémaglutide, pour s'attaquer à l'un des plus grands fléaux de notre temps : la maladie d'Alzheimer. Si ce pari, à haut risque mais à très haute récompense, s'avérait gagnant, il ne s'agirait plus seulement d'une révolution thérapeutique, mais d'un séisme économique qui pourrait redéfinir la valeur de l'entreprise et changer le destin de millions de personnes. Décryptage d'une stratégie hors normes.
Le lien oublié, quand le métabolisme rencontre le cerveau.
Pour bien comprendre la logique de Novo Nordisk, il faut d'abord revenir à un constat médical de plus en plus documenté : le lien étroit entre nos assiettes et nos neurones. L'obésité et le diabète de type 2 ne sont pas que des maladies du corps ; ce sont des facteurs de risque majeurs qui peuvent doubler, voire tripler, la probabilité de développer la maladie d'Alzheimer.
La maladie d'Alzheimer, qui touche près de 50 millions de personnes dans le monde, est souvent décrite par l'accumulation de plaques toxiques dans le cerveau. Mais une autre caractéristique clé est une forme de résistance à l'insuline au niveau cérébral, à tel point que certains scientifiques l'ont surnommée le « diabète de type 3 ». C'est ici que l'intuition de Novo Nordisk prend tout son sens. Si une partie du problème d'Alzheimer ressemble à un trouble métabolique, pourquoi ne pas utiliser l'arme la plus puissante dont on dispose contre ces troubles ?
Des études observationnelles massives, portant sur des millions de patients diabétiques, ont déjà mis le feu aux poudres. Les données issues des registres médicaux américains et danois sont stupéfiantes : les patients traités avec des agonistes GLP-1 comme le sémaglutide, voient leur risque de recevoir un diagnostic d'Alzheimer chuter de 40 à 70 % par rapport à ceux sous d'autres traitements comme l'insuline. Ce signal, bien que non définitif, suggère un effet protecteur qui va bien au-delà du simple contrôle de la glycémie.
La mécanique de l'espoir, comment un antidiabétique peut-il protéger le cerveau ?
L'audace du pari de Novo Nordisk repose sur une science solide. Les médicaments comme le sémaglutide ne se contentent pas de réguler l'appétit. Ils traversent la barrière protectrice du cerveau (la barrière hémato-encéphalique) et y déploient une action multimodale que les thérapies anti-amyloïdes classiques, qui ciblent un seul aspect de la maladie, ne peuvent égaler.
Un pompier pour le cerveau, la réduction de la neuro-inflammation.
L'un des mécanismes clés est la réduction de l'inflammation cérébrale. Les GLP-1 agissent comme des anti-inflammatoires puissants, calmant la tempête immunitaire qui endommage les neurones. Des études sur des modèles animaux ont montré une réduction de 50 % de cette inflammation.
Un bouclier neuronal et synaptique.
Au-delà de l'inflammation, ces molécules favorisent directement la survie des neurones et la plasticité synaptique, c'est-à-dire la capacité du cerveau à maintenir et créer des connexions, un processus essentiel à la mémoire. Un essai de phase 2 avec le liraglutide, un prédécesseur du sémaglutide, a montré un ralentissement de 18 % du déclin cognitif chez les patients.
Le grand nettoyage, réduction des plaques et effets vasculaires.
Enfin, le sémaglutide semble aider le cerveau à se "nettoyer" en inhibant la formation des protéines toxiques (amyloïdes et tau) et en favorisant leur élimination. Couplé à une amélioration de la circulation sanguine cérébrale, cet effet cocktail pourrait expliquer l'impact potentiellement transformateur de la molécule.
Le moment de vérité, les essais cliniques EVOKE et les résultats attendus pour 2025.
Les études observationnelles et les mécanismes biologiques sont prometteurs, mais en matière pharmaceutique, seule la preuve par l'essai clinique contrôlé compte. C'est tout l'enjeu des deux études de phase 3 menées par Novo Nordisk : EVOKE et EVOKE+.
Ces deux essais, menés sur des milliers de patients à un stade précoce de la maladie, comparent le sémaglutide oral à un placebo sur plusieurs années. L'objectif est de mesurer si le médicament peut réellement ralentir la progression de la maladie, un effet dit « modificateur de maladie ». Les résultats sont attendus pour la fin de l'année 2025, et le monde de la finance retient son souffle.
Un succès ne serait rien de moins qu'un tournant historique. Il validerait l'approche métabolique d'Alzheimer et offrirait la première thérapie accessible et largement tolérée pour cette maladie, loin des coûts exorbitants (plus de 26 000 $ par an) et des contraintes des traitements par anticorps.
Des enjeux stratosphériques, un "blockbuster" peut en cacher un autre.
Pour Novo Nordisk, les enjeux sont colossaux. L'entreprise domine déjà le marché des GLP-1 avec 33,7 milliards de dollars de ventes en 2023, mais la concurrence féroce d'Eli Lilly avec son Mounjaro met la pression. Un succès dans Alzheimer serait le relais de croissance parfait.
Des analystes estiment le potentiel de ventes annuelles supplémentaires entre 9 et 15 milliards de dollars d'ici 2030, tout en attribuant, prudemment, une probabilité de succès de seulement 10 %. C'est la définition même du "billet de loterie".
Un résultat positif permettrait à Novo Nordisk de repositionner le sémaglutide non plus comme un simple traitement pour l'obésité, mais comme un « médicament multi-usages » protégeant le cœur, les reins, le foie et demain, le cerveau. C'est le rêve de tout laboratoire : transformer un "blockbuster" en une véritable plateforme thérapeutique.
2025, l'année où un médicament "minceur" pourrait changer le monde ?
Bien sûr, le chemin est encore semé d'embûches. L'échec clinique reste une possibilité, comme l'histoire de la recherche sur Alzheimer nous l'a cruellement rappelé. Des experts comme Sir John Hardy restent sceptiques, même s'ils admettent que la science évolue.
Pourtant, le pari de Novo Nordisk incarne l'espoir d'une nouvelle ère. L'idée de reconvertir un médicament connu, produit en masse et bien toléré, pour combattre une maladie qui vole les souvenirs est une illustration spectaculaire de la puissance de l'innovation. Si ce "ticket gagnant" est tiré fin 2025, Novo Nordisk ne sauvera pas seulement son cours de bourse, il offrira un sursis à des millions de vies, en transformant un « médicament minceur » en bouclier neuronal. Reste à savoir si la roue de la fortune scientifique tournera en faveur du géant danois. La réponse, imminente, pourrait bien être l'un des plus grands événements économiques et sanitaires de la décennie. À suivre...


