Le piège fatal de la surchauffe, Donald Trump mène-t-il Wall Street vers un krach historique ?
- Pascal Faccendini

- 5 oct.
- 6 min de lecture

Il y a quelque chose d’irrationnel, voire de profondément inquiétant, dans l’euphorie qui balaye Wall Street. Le S&P 500 et le Nasdaq empilent les records comme un adolescent les jetons de casino, ivres des promesses de l’Intelligence Artificielle et de la baisse prochaine des taux de la Réserve fédérale.
Pourtant, derrière la façade de ces bilans technologiques impeccables, l’économie américaine court un risque mortel : celui d’une surchauffe inflationniste auto-infligée qui pourrait engendrer un choc de taux longs brutal, et provoquer un éclatement de cette nouvelle bulle boursière.
La situation actuelle n'est pas une simple redite des crises passées. C’est un nouveau cocktail de vulnérabilités où la solidité microéconomique du secteur technologique se heurte à une fragilité macroéconomique inédite. Si les investisseurs ne voient que les similitudes de façade avec l’an 2000, ils risquent d’ignorer la divergence fondamentale : cette fois, l'État et la Banque Centrale n'auront plus les moyens d'amortir la chute. C'est l'analyse qui s'impose face à l'examen clinique des chiffres.
L'ombre de l'an 2000, similitudes et divergences structurelles.
La comparaison entre la bulle Internet de 1999-2000 et la configuration des marchés de 2025 révèle des similitudes structurelles troublantes : une concentration sectorielle extrême, des valorisations qui flirtent avec les sommets historiques et un rôle déterminant – voire pervers – de la politique monétaire dans la formation de la bulle.
Un cocktail de valorisations extrêmes.
En 2000, « l’exubérance irrationnelle » qu’Alan Greenspan avait pointée du doigt atteignait son apogée. Le P/E ajusté du cycle (CAPE ou P/E de Shiller) avait atteint un sommet historique de 44x, bien loin de sa moyenne de 18x. Aujourd'hui, il se situe à 38x, le deuxième niveau le plus haut de l'histoire. Les multiples du Nasdaq flambaient au-delà de 100x. Actuellement, le Nasdaq se situe à 35x, tandis que le P/E du S&P 500 avoisine 23 fois les bénéfices.
La capitalisation boursière, mesurée par l'indicateur Buffett (capitalisation/PIB), qui atteignait 150% du PIB en 2000, un record à l'époque, se situe aujourd'hui entre 175% et 180% du PIB. L’analogie visuelle est donc frappante : nous sommes à nouveau en haute altitude.
Pourtant, il existe une différence fondamentale. En 2000, la bulle reposait sur des entreprises souvent déficitaires. Aujourd'hui, les leaders du marché – Apple, Microsoft, Alphabet, Amazon, Nvidia, Meta et Tesla – sont dans une situation de capacité bénéficiaire très forte. La vulnérabilité ne vient plus, ou du moins pas directement, de la faiblesse de ces entreprises elles-mêmes.
Le macro-poids de la dette, le "vrai" danger invisible.
La véritable faille est ailleurs : elle est macroéconomique.
Souvenez-vous. En 2000, l’économie américaine était robuste, avec un solde budgétaire fédéral excédentaire de 2,3% du PIB et une dette publique autour de 55% du PIB. Le cadre budgétaire était sain. La vulnérabilité était avant tout microéconomique, liée à des anticipations spéculatives.
Aujourd’hui, l'image est inversée, et bien plus sinistre. Le contexte est celui d’une fragilité inédite :
Le déficit budgétaire fédéral dépasse désormais 6,5 % du PIB.
La dette brute dépasse les 120 % de votre PIB.
Comme l’indiquent des analystes, les niveaux de dette publique aussi élevés augmentent la probabilité de crises financières prolongées et réduisent considérablement la marge de manœuvre des autorités.
De plus, la Réserve fédérale compose avec un bilan hypertrophié, certes en réduction (22,1% du PIB aujourd'hui), mais toujours très loin des moins de 6% en 2000. Le levier du taux directeur seul ne suffit plus. La banque centrale et l’État portent une charge de dette et de liquidité colossale, limitant leur capacité à amortir un choc macro-financier.
La vulnérabilité est passée de la faiblesse des entreprises (micro) à la contrainte de dette et de politique monétaire (macro). C'est un changement de nature du risque, que les marchés ignorent superbement.
Le « Trumpisme » économique et le risque de surchauffe.
Le moteur de ce risque est politique. L’économie américaine est en passe de basculer de la menace de stagflation à une surchauffe inflationniste alimentée par une convergence de facteurs politiques et monétaires.
De la stagnation à la reflation forcée.
L'histoire récente parlait de stagflation en raison de l'incertitude géopolitique, de l'escalade tarifaire et d'une « récession de croissance » limitée à 1% au premier semestre. Mais l'arrivée au pouvoir de Donald Trump, dont l'influence sur la Fed et l'orientation budgétaire sont déjà palpables, change la donne.
Donald Trump, dans sa quête d'un rebond économique avant les Midterms, met en place une stratégie agressive. Il cherche un accord commercial avec la Chine pour mettre fin à l'escalade tarifaire (les droits de douane chinois atteignant 40%), ce qui, en théorie, devrait soulager l'inflation et la demande.
Mais l'équation fatale est ailleurs : elle est dans le mélange explosif d'une politique budgétaire expansionniste (baisse d'impôts dès 2026, déficits abyssaux) et d'une offre contrainte.
L'équation fatale de l'immigration et du potentiel de croissance.
Le véritable drame est l'impact de la politique migratoire sur l'offre. L'absence d'immigration – due aux efforts de déportation et à l'effondrement des flux – ramène le potentiel de croissance américain de 2% à un niveau situé entre 1% et 1,5%.
Or, la population active ne croît qu'avec l'immigration, compte tenu du grand nombre de baby-boomers partant à la retraite. La conséquence est mathématique : si la croissance économique, même stimulée par des déficits et des taux bas, dépasse ce faible potentiel de 1,5%, l'inflation va inéluctablement repartir à la hausse.
Le « trumpisme » économique, comme le soulignent des analystes, consiste à pousser l'économie vers une nouvelle surchauffe inflationniste, au prix de déficits budgétaires intenables, tout en réduisant la croissance potentielle via le protectionnisme et les déportations. C'est une fuite en avant.
Wall Street au bord du précipice, le choc de taux longs.
Cette surchauffe est le point de bascule. Le principal risque pour Wall Street est celui d'une compression des multiples. Si les taux d'intérêt réels remontent au-delà d'un certain seuil d'équilibre, un retour vers les ratios de longue moyenne impliquerait une correction de 20 à 35% des indices boursiers.
La Fed sous influence et la chute du Dollar.
Donald Trump accroît son pouvoir sur la Fed, plaidant pour une baisse agressive des taux, autour de 2,75% d’ici la fin de l’année. Son influence risque de provoquer une baisse encore plus forte des taux directeurs et davantage d'injections de liquidités.
Cette politique monétaire « accommodante » pour de mauvaises raisons conduira à un regain d'inflation et sera sanctionnée par les marchés des changes. Les investisseurs étrangers, qui n'apprécient pas la mise sous tutelle de la Fed, augmentent déjà leur ratio de couverture du risque de change (couverture). Le dollar chutera, poussé à la baisse par le coût diminué de cette protection et le risque d'inflation.
L'inéluctable remontée des T-Bonds (5%+) ?
Voici le nœud de la vulnérabilité. Donald Trump peut, d'une certaine manière, contrôler le marché des taux courts via la Fed, mais il ne pourra pas contrôler la partie longue des taux d'intérêt.
Si l'inflation américaine, que l'on anticipe grimper à 3,5% à la fin de l'année, voire à 4% en 2026 si la Fed maintient le cap, dépasse largement la cible de 2%, les obligations à long terme, les Obligations du Trésor, vont s'envoler. La barre symbolique des 5% sur les Bons du Trésor est alors tout à fait possible, voire probable.
Un tel choc sur les taux d'intérêt longs mettrait fin au festin de Wall Street. La valorisation des actions serait affectée, car le coût du capital remonterait brutalement, et les marchés plongeraient. C'est un scénario classique dans l'histoire des bulles financières : l'innovation technologique alimente l'optimisme, la politique monétaire retarde l'ajustement, puis un choc déclenche la correction.
Cette fois, le choc est sur la table, et c'est un choc de taux longs, dont l'État ne peut plus se prémunir au vu de sa dette abyssale.
Conclusion : Le crépuscule de la capacité d'amortissement.
Les soutiens des marchés, notamment la fin du cycle tarifaire avec la Chine et la perspective de la détente monétaire, sont réels pour les six prochains mois. Le cycle de baisse des taux est puissant. Mais la contrepartie est lourde.
La situation actuelle n’est pas un simple jeu spéculatif comme en 2000, mais un déséquilibre structurel profond. Les valorisations historiquement élevées du marché actions sont maintenues par des fondamentaux solides (les bénéfices technologiques), mais le cadre macroéconomique est fragile à l’extrême.
Le risque est celui de voir Donald Trump conduire l'économie à la surchauffe et provoquer un éclatement de la bulle boursière.


