Rentrée boursière, les taux d'intérêt dictent leur loi.
- Pascal Faccendini

- 18 sept.
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Dernière mise à jour : 19 sept.

La rentrée des classes, c'est un peu toujours la même chose. Les cartables sont neufs, les promesses de bien travailler sont sur toutes les lèvres, mais au fond, l'ombre du premier contrôle de maths plane déjà. Pour la Bourse, cette rentrée 2025 a exactement le même parfum. Les indices ont des couleurs estivales, on parle de croissance, d'opportunités, mais tout le monde a les yeux rivés sur le carnet de notes des banquiers centraux. Car ce sont eux, et eux seuls, qui tiennent le stylo rouge. La question n'est plus de savoir si la musique va changer, mais à quel volume et sur quel tempo. Bienvenue dans une rentrée boursière sous haute tension, celle où le moindre soupir d’un gouvernement ou d'un gouverneur de banque centrale peut provoquer une tempête.
La Fed siffle la fin de la récré, une baisse en trompe-l'œil ?
Il y a eu un temps, pas si lointain, où chaque parole de la Réserve Fédérale américaine (la Fed) était suivie d'un séisme à Wall Street. Aujourd'hui, le séisme n'a pas eu lieu. La Fed a bien baissé ses taux d'un quart de point, une première cette année, mais la réaction fut d'une platitude déconcertante. Le Dow Jones a modestement progressé, le Nasdaq a légèrement reculé. Pas de panique, pas d'euphorie. Pourquoi ? Parce que cette décision était aussi prévisible qu'un épisode de "L'amour est dans le pré". Les investisseurs l'avaient non seulement anticipée, mais déjà intégrée dans les cours.
Comme le résume un analyste, "il n'y a pas eu de surprise majeure" et c'est là que le piège se referme. Car l'absence de surprise ne signifie pas l'absence de message. Le président de l'institution, Jerome Powell, a été très clair : il s'agit d'une "mesure réfléchie", pas d'un "revirement". En clair, ne vous attendez pas à ce que la Fed ouvre les vannes du crédit comme au bon vieux temps (du moins pour le moment). Ce n'est pas "un feu d'artifice", mais un léger coup de pouce pour éviter que la machine économique américaine, qui montrait des signes de fatigue sur le front de l'emploi, ne cale brutalement. La Fed navigue à vue, et ses décisions futures, nous dit-on, "seront fondées sur les données disponibles". Traduction : nous n'avons aucune certitude, et c'est peut-être ça, la seule vraie certitude !
L'obligataire, ce vieux sage qui parle toujours avant les autres
Si les marchés actions peuvent parfois s'emballer comme des adolescents, le marché obligataire, lui, a la sagesse du patriarche. Il sent le vent tourner bien avant tout le monde. Et que nous dit-il en cette rentrée ? Il nous dit de nous méfier. Juste après la décision de la Fed, le taux des emprunts américains à dix ans, la référence mondiale absolue, a touché un plus bas. C'est le signal que les grands investisseurs mondiaux anticipent un ralentissement. Ils préfèrent prêter leur argent à l'État américain, même à un taux faible, plutôt que de le risquer sur des projets plus incertains.
Cette tension sur la dette souveraine est le miroir de nos angoisses. Regardez la France. On compare sa situation à celle de la Grèce, François Bayrou parle de "danger mortel". La comparaison est excessive, l'histoire n'est pas la même. La France a connu des défauts sur sa dette en moyenne tous les 135 ans sur les douze derniers siècles, la Grèce, c'est tous les 32 ans depuis 1829 ! Pour autant, le sujet est là. Le verdict populaire et politique est sans appel : ils jugent la dette française plus risquée.
Pourquoi est-ce si important ? Parce que le coût de la dette de l'État influence le coût du crédit pour tout le monde : pour les entreprises qui veulent investir, pour les ménages qui veulent acheter une maison. Quand ce coût augmente, l'économie ralentit. La France n'est pas seule ; les États-Unis, l'Italie, de nombreux pays européens voient le poids de leur dette devenir le principal frein à leur croissance future. Le ratio dette/PIB, même s'il est un indicateur imparfait, est devenu l'obsession des marchés. Et lorsque près de 55 % de la dette d'un pays comme la France est détenue par des non-résidents, le moindre frissonnement mondial se transforme en grippe carabinée à Paris.

Le grand réveil du Yen, la fin d'une époque pour le Carry Trade
Pendant près de vingt ans, le monde de la finance a vécu sur une anomalie formidable, une sorte de martingale qui semblait ne jamais devoir s'arrêter : le "Yen Carry Trade".
Le Carry Trade, ou l'argent (presque) gratuit, c'est fini !
Le principe est d'une simplicité enfantine. Vous empruntez des yens au Japon, où les taux d'intérêt sont proches de zéro depuis une éternité. Avec cet argent qui ne vous coûte rien, vous achetez des actifs bien plus rémunérateurs ailleurs : des obligations américaines, des actions sur les marchés émergents, etc. La différence, c'est votre profit. Ce mécanisme a inondé la planète de liquidités, financé la croissance mondiale et contribué à gonfler quelques belles bulles spéculatives.
Mais cette époque est en train de mourir sous nos yeux. Car le Japon, contre toute attente, voit l'inflation revenir. Et qui dit inflation, dit hausse des taux. La Banque du Japon (BoJ) a commencé à tourner le robinet. Elle a sorti ses taux du territoire négatif en mars 2024, puis les a relevés à nouveau, modestement, en juillet 2024 et janvier 2025. C'est une révolution. Pour la première fois depuis des lustres, l'argent emprunté au Japon a un coût.
Le Japon change de partition, quelles conséquences mondiales ?
Le réveil du Japon est la menace la plus sous-estimée de cette rentrée. Imaginez des milliers de fonds d'investissement, de banques, d'assureurs à travers le monde qui ont bâti des stratégies sur cet argent quasi-gratuit. Maintenant, ils doivent non seulement payer des intérêts, mais aussi faire face à un yen qui se renforce, ce qui alourdit le poids de leurs remboursements.
Le risque, c'est le "débouclage" ou "unwind" de ce Carry Trade. Pour rembourser leurs prêts en yens, ces investisseurs sont obligés de vendre en urgence les actifs qu'ils avaient achetés : actions américaines, obligations brésiliennes, devises asiatiques... Le scénario d'un "choc systémique", une vente forcée et massive d'actifs globaux, n'est plus une hypothèse d'école. On parle d'une correction boursière potentielle de 10 à 20 % et d'un risque de récession en Asie. En septembre 2025, le volume du Carry Trade a déjà diminué de 15 à 20 % par rapport à 2024. La déconstruction a commencé, et l'enjeu est qu'elle soit "ordonnée" et non un effondrement brutal.

Comment naviguer dans ce brouillard de Taux ?
Alors, que faire ? Le particulier a l'impression d'être une petite barque au milieu d'un ballet de super-pétroliers. Inutile de chercher à deviner la prochaine décision de la Fed à un quart de point près. L'important est de comprendre les grandes lames de fond.
La première, c'est que l'ère de l'argent facile, qui a dopé tous les actifs sans distinction depuis 2008, est terminée. Il faut redevenir sélectif. On observe d'ailleurs un mouvement intéressant : les investisseurs sortent des obligations d'État, devenues moins sûres et moins rentables, pour se tourner vers les obligations d'entreprises de haute qualité. Autrement dit, ils préfèrent prêter à une grande entreprise solide plutôt qu'à certains États jugés fragiles.
La deuxième lame de fond, c'est la diversification. Le réveil du Japon, par exemple, rend les actions japonaises potentiellement attractives. Après des années de désintérêt, le pays normalise son économie, ses entreprises se réforment et les bénéfices sont robustes. C'est un pari, mais c'est un pari qui se regarde. De même, la logique du Carry Trade ne disparaît pas, elle se déplace. Avec la baisse des taux aux États-Unis, le dollar américain redevient une "monnaie d'emprunt" pour aller chercher du rendement sur des devises comme le peso mexicain ou le réal brésilien. Le jeu devient plus complexe, plus risqué, mais aussi plus diversifié.
En conclusion, cette rentrée boursière est moins une question de direction – hausse ou baisse – que de volatilité. Les banquiers centraux ne sont plus les pompiers pyromanes d'hier, qui inondaient le système de liquidités pour éteindre le moindre incendie (pour le moment). Ils sont devenus des démineurs, avançant à pas de loup pour désamorcer les bombes de la dette et de l'inflation sans tout faire exploser. Pour l'épargnant, la performance ne viendra pas d'un coup de chance, mais d'une compréhension fine de ce nouveau monde où l'argent a retrouvé un prix. Et ce prix, c'est le taux d'intérêt ! À suivre...


