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Rêve vert brisé, réarmement forcé : l'Europe à l'heure de la souveraineté de nécessité.

  • Photo du rédacteur: Pascal
    Pascal
  • 11 juil.
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 11 juil.

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On se souvient de cette Europe d'avant 2022. Une Europe qui se rêvait en championne du monde de la transition verte, une sorte de superpuissance normative et écologique. Son étendard ? L'hydrogène. Un projet pharaonique, des plans sur la comète et des milliards d'euros déversés comme une promesse d'avenir radieux. Mais le mur de la réalité, fait de chars russes en Ukraine, de navires porte-conteneurs chinois et de tweets comminatoires depuis Washington, a sonné la fin de la récréation.

Aujourd'hui, l'Europe est contrainte de ranger ses rêves au placard pour faire face à l'urgence. La "grande correction" est en marche. Brutale, chaotique, elle force le continent à pivoter d'une économie de l'intention à une économie de la nécessité. Et cette correction révèle, de manière crue, les fractures et les paradoxes qui nous paralysent.


L'Hydrogène, symbole d'une ambition européenne..., qui vacille.

Pour comprendre l'Europe d'hier, il faut regarder un chiffre : 39 milliards d'euros. C'est le financement total fléché vers les projets communs dans l'hydrogène et les énergies propres. Comme l’indique le bilan des financements européens, ce secteur écrase tous les autres. L'hydrogène, c'était le projet-totem, la preuve d'une Europe capable de se projeter, unie, vers un futur décarboné. Quatre "Projets Importants d'Intérêt Européen Commun" (PIIEC), ces fameux instruments qui permettent de contourner les dogmes de la concurrence pour créer des champions, lui sont dédiés.

Pourtant, ce bel édifice se fissure. Le projet de gigafactory d'Elogen à Vendôme, qui devait être une vitrine, est à l'arrêt, ses piliers "dressés dans une vaine prière vers le ciel", comme le rapporte des spécialistes. Les "mauvaises nouvelles volent en escadrille" : projets suspendus, demande qui ne décolle pas, report du projet d'avion à hydrogène d'Airbus... La raison est simple, presque triviale : le coût. L'hydrogène vert nécessite des quantités astronomiques d'électricité décarbonée et bon marché, une denrée qui n'existe tout simplement pas aujourd'hui en Europe. Le rêve technologique s'est heurté à la dure loi de l'économie réelle.


Le réveil géopolitique : la défense, de parent pauvre à priorité absolue.

Pendant que l'Europe investissait 39 milliards dans son rêve vert, combien pour sa défense commune ? À peine 1,8 milliard d'euros en 2025. Moins de 5% des montants dédiés à l'hydrogène. Le chiffre est sans appel et illustre la naïveté stratégique dans laquelle le continent baignait. Pas un seul « PIIEC » n'est dédié à la défense, l'instrument le plus puissant pour structurer une industrie est absent du secteur le plus vital pour notre souveraineté.

La course au réarmement, une correction à 800 milliards.

La guerre en Ukraine et le retour de Donald Trump à la maison blanche ont agi comme un électrochoc. Finis les discours éthérés, place au concret. La Commission européenne a dévoilé un plan de réarmement de 800 milliards d'euros. Le changement est radical. On parle de mobiliser 150 milliards d'euros de prêts via le programme SAFE, d'assouplir les règles budgétaires pour que les États puissent enfin investir dans leur armée. C'est une révolution copernicienne.

Une fragmentation qui coûte cher : le réflexe du F-35.

Mais cette montée en puissance révèle nos divisions. Au moment de passer à la caisse, l'unité européenne s'effrite. Le symbole le plus criant est celui de l'avion de combat. Alors que la France peine à vendre son Rafale, 13 pays européens ont acheté ou commandé l'américain F-35. Allemagne, Belgique, Italie, Pologne, Finlande... la liste est longue. Pourquoi ? Pour l'interopérabilité avec l'OTAN, pour la pression de Washington, mais surtout parce que l'Europe est incapable de s'entendre. Les grands projets, comme le char du futur (MGCS) ou l'avion du futur (SCAF) avancent à pas de tortue, plombés par les rivalités industrielles franco-allemandes. Chaque pays préfère encore acheter "sur étagère" à l'allié américain plutôt que de construire, patiemment, une solution européenne. Cette fragmentation est un désastre industriel et une gabegie financière.


L'automobile : le paradoxe d'un géant économique en péril.

Si la défense est le symbole du réveil, l'automobile est celui du déni. Ce secteur représente 7% du PIB européen et 13 millions d'emplois. Un géant. Pourtant, en termes de projets communs, c'est un nain. Il ne bénéficie que de 2,8 milliards d'euros de financement direct, soit à peine 7% de ce que touche l'hydrogène. C'est tout le paradoxe d'un continent qui subventionne massivement un secteur d'avenir (l'hydrogène) dont le marché est incertain, tout en laissant son principal pilier industriel affronter seul une crise existentielle.

Et la crise est profonde. Volkswagen, Ford, Audi... les plans de suppressions d'emplois se comptent en dizaines de milliers. La production stagne et, surtout, "l'invasion chinoise" est en marche. Un constructeur comme BYD dispose d'un avantage coût de 6 000 à 7 000 euros par véhicule. Face à ce tsunami, la réponse européenne est timide et fragmentée. Pas de PIIEC "automobile". Chaque État protège ses champions nationaux – la France avec Renault, l'Allemagne avec Volkswagen – empêchant toute stratégie continentale.


Le diagnostic des élites : "Il faut refaire la CECA".

Face à ce tableau, que disent nos dirigeants ? Lors des dernières Rencontres Économiques d'Aix-en-Provence, le diagnostic a été posé sans fard. L'image la plus forte restera celle de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, coiffant une casquette verte "Make Europe Great Again". Un clin d'œil, bien sûr, mais qui traduit une prise de conscience : l'Europe doit se reprendre en main.

Patrick Pouyanné, le patron de TotalEnergies, a mis les pieds dans le plat. Sa solution ? "Il faut refaire la CECA", la Communauté européenne du charbon et de l'acier, ce socle originel d'une Europe bâtie sur des projets industriels concrets et non sur une concurrence dogmatique qui "empêche l'émergence de champions européens". Son propos est clair : arrêtons de nous diviser. Si les Allemands veulent des éoliennes et les Français du nucléaire, organisons l'interconnexion au lieu de nous quereller. Le message est le même pour l'épargne, l'industrie ou les télécoms.


Conclusion : La fin de la naïveté, le début de l'Europe Puissance ?

La grande correction que traverse l'Europe est une épreuve de vérité. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 800 milliards pour la défense, 100 milliards pour l'industrie propre, 2,8 milliards en urgence pour l'automobile... Le continent passe d'une "Europe des projets" idéalisés à une "Europe de la nécessité" imposée par le fracas du monde.

Cette mutation, initiée par la guerre en Ukraine et amplifiée par la perspective de l'isolationnisme américain, est salutaire. Elle nous force à regarder nos faiblesses en face : notre fragmentation industrielle, nos divisions politiques, notre dépendance stratégique. Le plus grand défi n'est plus de dessiner un avenir idéal, mais de survivre dans le présent. La question qui reste posée est celle de notre capacité à surmonter nos vieux démons nationaux. Cette contrainte extérieure, ce "réveil" dont parlent nos élites, sera-t-elle le catalyseur qui nous forcera enfin à construire cette Europe puissance que nous appelons de nos vœux depuis si longtemps ? Ou n'est-ce qu'une agitation fébrile avant de retomber dans nos travers ? L'avenir de notre prospérité et de notre sécurité se joue maintenant. À suivre...

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