Nvidia, la fin de l’euphorie ? Trois gourous de la Tech sèment le doute sur la bulle de l'IA.
- Pascal Faccendini

- 17 nov.
- 5 min de lecture

Le mercredi 19 novembre approche, et avec lui, une publication de résultats qui ressemble plus à un référendum qu'à un simple exercice comptable. Nvidia, le géant des puces électroniques devenu le symbole boursier de la révolution de l'intelligence artificielle (IA), joue à quitte ou double. Alors que sa valorisation flirte avec des sommets stratosphériques, trois noms bien connus de la finance mondiale viennent de jeter un immense pavé dans la mare. Le Japonais Masayoshi Son (SoftBank), le libertarien Peter Thiel et le "prophète de l'apocalypse" Michael Burry ont tous, à leur manière, pris leurs distances. Faut-il y voir les prémices d'un éclatement de la bulle IA ? Analyse d'une pression maximale.
Le conte de fées de l'IA et son champion incontesté.
Pour comprendre la nervosité actuelle, il faut mesurer le chemin parcouru. Il y a quelques années encore, Nvidia était surtout connue des amateurs de jeux vidéo pour ses cartes graphiques. L'explosion de l'IA générative, incarnée par ChatGPT depuis 2022, a tout changé. Les puces Nvidia sont devenues l'infrastructure indispensable, le "pétrole" de cette nouvelle économie. La demande est si forte que la capitalisation boursière de l'entreprise a dépassé les 5 000 milliards de dollars en octobre 2025, un exploit jusqu'alors inédit.
Cette ascension fulgurante repose sur une promesse simple : une hypercroissance alimentée par des investissements colossaux. Les géants comme Microsoft, Meta ou Google prévoient de dépenser 550 milliards de dollars en capital pour l'IA d'ici 2026, dont une grande partie ira directement dans les caisses de Nvidia. Le PDG de l'entreprise, Jensen Huang, promet même que ses nouvelles puces généreront 500 milliards de dollars de revenus d'ici 2026. Une mécanique bien huilée, presque trop parfaite. Mais voilà, quand la musique est aussi belle, certains danseurs expérimentés préfèrent quitter la piste de danse avant la fin.
Quand les oracles vendent, des signaux qui ne trompent pas ?
Trois ventes récentes ont particulièrement attiré l'attention, non pas par leur montant, mais par le nom de ceux qui les ont initiées.
SoftBank, l’adieu stratégique d'un visionnaire.
Le 11 novembre 2025, le conglomérat japonais SoftBank, mené par le célèbre Masayoshi Son, a annoncé avoir vendu l'intégralité de sa participation dans Nvidia. Au total, 32,1 millions d'actions ont été cédées en octobre pour 5,83 milliards de dollars. Officiellement, il ne s'agit pas d'un acte de défiance. Le directeur financier a précisé que cette vente "n'a rien à voir avec Nvidia", mais vise à financer d'autres paris massifs dans l'IA, notamment un engagement de 30 milliards de dollars dans OpenAI et des projets de data centers.
Cependant, le marché a frémi. Masayoshi Son est un parieur, un homme qui cherche le coup d'après. En vendant ses titres Nvidia, il semble dire : les gains faciles sont faits, l'argent doit maintenant aller sur des projets plus fondamentaux, moins soumis aux aléas boursiers. Une manière de prendre ses bénéfices pour réinvestir dans les "fondations" de l'IA, un signal que le pic de la "hype" boursière est peut-être atteint.
Peter Thiel, le contrariant sent l'odeur du soufre.
Quelques jours plus tard, le 16 novembre, c'est une autre figure de la Silicon Valley qui a fait parler d'elle. Peter Thiel, cofondateur de PayPal et Palantir, connu pour ses paris à contre-courant, a liquidé la totalité de sa position sur Nvidia via son fonds Thiel Macro LLC. Il a vendu 537 742 actions, un mouvement radical pour cet investisseur qui avait déjà critiqué "l'hype IA" et comparé la situation à la bulle internet de 2000.
Le plus révélateur n'est pas tant la vente elle-même que ce que Thiel a acheté à la place : des actions Apple et Microsoft. Il sort de l'actif le plus volatil et emblématique de l'IA pour se réfugier sur des "valeurs sûres" de la tech. C'est un mouvement de prudence classique, une rotation vers des entreprises stables, comme si Thiel anticipait une forte correction sur les titres les plus spéculatifs.
Michael Burry, le cassandre de la Tech entre en scène.
Le troisième homme n'est pas un vendeur, mais un parieur. Et pas n'importe lequel. Michael Burry, l'investisseur rendu célèbre par le film "The Big Short" pour avoir anticipé et profité de la crise des subprimes de 2008, a pris des positions massives contre Nvidia. Il ne se contente pas de douter, il mise sur la chute du cours. Son analyse, distillée sur les réseaux sociaux, est bien plus qu'une intuition : c'est une accusation en règle.
L'Illusion des "investissements circulaires".
Selon Burry, la demande pour les puces Nvidia est en partie artificielle. Il pointe du doigt les "partenariats circulaires" : Nvidia investit des milliards dans des start-ups comme OpenAI, qui, en retour, s'engagent à acheter massivement ses puces. C'est un peu comme si un boulanger donnait de l'argent à ses voisins à la condition qu'ils lui achètent son pain. Cela crée une illusion de demande organique et gonfle artificiellement le chiffre d'affaires.
La "dette cachée", une manipulation comptable ?
L'attaque la plus grave de Burry porte sur les pratiques comptables. Il accuse les clients de Nvidia (les "hyperscalers" comme Meta ou Oracle) de sous-estimer l'amortissement de leurs puces. Concrètement, ces entreprises comptabiliseraient les puces Nvidia sur une durée de vie de 5 à 7 ans, alors que leur obsolescence technologique rapide les rendrait dépassées en 3 à 5 ans.
Cette astuce comptable permettrait de réduire les charges annuelles et donc de gonfler artificiellement les bénéfices. Burry estime que cette méthode pourrait surévaluer les profits de Meta de 21% et ceux d'Oracle de 27%. Pour lui, Nvidia est au cœur de ce montage qui masque des coûts d'obsolescence massifs, créant une "dette cachée" qui finira par éclater au grand jour.
Le mercredi 19 novembre, l’heure du verdict.
Face à ce trio d'accusateurs, Nvidia et ses défenseurs plaident la cause d'une véritable révolution technologique. La demande des entreprises est réelle, et comme le dit l'investisseuse Cathie Wood, "nous sommes au début d'une révolution".
Les résultats du 19 novembre seront donc scrutés à la loupe. Un chiffre d'affaires ou des prévisions, même légèrement en deçà des attentes, pourraient être le signal que les marchés redoutent. Cela pourrait valider les craintes d'un ralentissement et accélérer la rotation des investisseurs vers d'autres secteurs.
En conclusion, les désengagements de SoftBank et Thiel et les paris de Burry ne sonnent pas nécessairement le glas de l'intelligence artificielle, qui reste une tendance technologique de fond. Mais ils agissent comme un puissant rappel à la prudence. L'euphorie a peut-être laissé place à une forme d'ivresse spéculative, déconnectée des profits réels. L'IA transformera sans doute notre économie, mais les questions qui se posent aujourd'hui sont simples : à quel prix pour les investisseurs qui sont arrivés au sommet de la vague ? Les retours sur investissement seront-ils aussi rapides que le marché les envisage ? Réponse, en partie, ce mercredi 19 novembre après la clôture de Wall Street, À suivre...


