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Marché interbancaire américain, les signes avant-coureurs d'une crise Imminente ?

  • Photo du rédacteur: Pascal Faccendini
    Pascal Faccendini
  • 27 oct.
  • 5 min de lecture
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L'économie, c'est un peu comme la plomberie d'une grande maison. Tant que l'eau coule sans effort de chaque robinet, personne ne s'en soucie. Mais lorsque la pression baisse, que des bruits étranges se font entendre dans les tuyaux, l'inquiétude monte. C'est précisément ce qui se passe aujourd'hui dans les coulisses de la finance américaine. Loin des projecteurs braqués sur l'intelligence artificielle ou les records de la bourse, la plomberie du système, le marché interbancaire américain, grince et tousse. Et ces bruits, aussi techniques soient-ils, nous racontent l'histoire d'un château de cartes de plus en plus fragile.


Le thermomètre de la peur, quand l'argent ne circule plus.

Pour comprendre ce qui se trame, il faut regarder des indicateurs que le grand public ignore, mais que les banquiers centraux scrutent avec anxiété. Imaginez le système financier comme un vaste réseau de vases communicants où les banques se prêtent de l'argent au jour le jour pour équilibrer leurs comptes. C'est le marché interbancaire. Or, depuis 2023, le fluide essentiel à ce mécanisme – la liquidité – se raréfie.

Trois signaux qui ne trompent pas.

Plusieurs voyants sont passés à l'orange vif.

  1. La chute des réserves excédentaires (ON RRP) : Pendant des années, les banques disposaient d'un matelas de cash si confortable qu'elles le déposaient chaque soir à la Réserve Fédérale (la Fed). Ce matelas fond comme neige au soleil. Les réserves déposées dans le cadre de l'Overnight Reverse Repo Facility ont chuté, signifiant que les banques ont moins de "rab" à placer. L'argent facile, c'est fini.

  2. L'appel au guichet d'urgence (SRF) : En parallèle, le recours au Standing Repo Facility, une sorte de guichet d'urgence où la Fed fournit des liquidités aux banques en difficulté, augmente par à-coups. Quand on commence à utiliser la trousse de secours, c'est que la situation se tend.

  3. Le coût de l'argent (SOFR) : Enfin, le taux d'intérêt de ces prêts au jour le jour, le fameux SOFR, reste obstinément élevé. C'est la loi de l'offre et de la demande : quand un produit se fait rare, son prix monte. L'argent à très court terme est devenu plus cher, car plus recherché.

Le diagnostic est sans appel : l'argent circule moins librement. Les banques, gardiennes du temple économique, sont plus hésitantes à prêter, à mobiliser leurs fonds. Le président de la Fed lui-même, lors d'un discours à Philadelphie le 14 octobre, a mis les pieds dans le plat. Il a confirmé que la politique de la banque centrale, qui réduit son bilan pour combattre l'inflation, assèche délibérément le système. Une manœuvre nécessaire, mais dont les effets secondaires commencent à se manifester avec une acuité redoutable.


La finance de l'ombre prend le relais et les risques avec.

La nature a horreur du vide ; la finance aussi. Pendant que le circuit bancaire traditionnel est mis sous contrainte, un autre système, parallèle et bien plus opaque, prospère : le "private credit". Le crédit privé, c'est le Far West de la finance. Des fonds d'investissement, des gestionnaires d'actifs et autres prêteurs alternatifs financent directement les entreprises, sans passer par une banque.

Ce marché est devenu un monstre. Il pèse désormais près de 1 300 milliards de dollars. Son expansion est la conséquence directe du retrait des banques classiques, devenues plus frileuses. Pour les entreprises de taille moyenne, c'est une bouffée d'oxygène. Pour les investisseurs, en quête de rendement dans un monde de taux élevés, c'est une aubaine.

Un remède pire que le mal ?

Mais ce transfert massif de l'activité de crédit pose une question vertigineuse : ce nouveau pilier de la finance est-il solide ? Contrairement aux banques, ces acteurs ne sont pas soumis aux mêmes réglementations prudentielles, aux mêmes exigences de fonds propres. Que se passera-t-il en cas de retournement de cycle économique ? Si les entreprises qu'ils financent commencent à faire défaut en cascade ?

Le lien de cause à effet est ici limpide et inquiétant. La Fed retire des liquidités du système bancaire, affaiblissant le tampon de sécurité global. Pour compenser, des acteurs non régulés prennent le relais, absorbant une part croissante du risque. Le résultat ? Le risque de contagion n'a pas disparu, il s'est déplacé. Il est sorti de la lumière pour prospérer dans l'ombre, rendant tout incendie potentiel beaucoup plus difficile à maîtriser. Le château de cartes s'est agrandi, mais une partie de ses fondations est désormais construite sur un terrain non réglementé.


Les banques régionales, premier étage à vaciller.

Si le risque systémique monte en coulisses, ses premières victimes sont déjà sur le devant de la scène. Il s'agit des banques régionales américaines, ce maillon que l'on sait faible depuis la crise éclair de la Silicon Valley Bank en mars 2023. Cet événement n'était pas un accident isolé, mais le symptôme d'une fracture profonde qui ne cesse de s'élargir.

la comparaison de la performance des grandes banques de Wall Street et de celle des banques régionales est cruelle. Tandis que les mastodontes comme JP Morgan ou Goldman Sachs continuent leur ascension, portés par leurs activités de marché, les petits établissements stagnent, voire régressent.

L'économie à deux vitesses, la finance aussi.

Ce décalage est un paradoxe. L'économie américaine se porte bien, avec un marché de l'emploi solide et une consommation robuste. Normalement, les banques régionales, qui financent le tissu local et les PME, devraient en profiter. Mais elles sont prises en étau.

D'un côté, les taux d'intérêt élevés poussent leurs déposants à fuir vers des fonds monétaires bien plus rémunérateurs. De l'autre, leur modèle économique, souvent très exposé à l'immobilier commercial – un secteur en crise –, les fragilise. Elles sont les grandes perdantes de la nouvelle donne monétaire.

La Bourse ne s'y trompe pas et nous renvoie l'image d'une Amérique à deux vitesses. Il y a la finance des géants de la tech et de l'IA, et celle du reste de l'économie, bien plus terne. De la même manière, il y a la finance des géants de Wall Street et celle, vulnérable, des banques de proximité. Des alertes récentes, comme les difficultés chez First Brands Corporation ou les annonces des banques Zions et Western Alliance, nous rappellent que la périphérie du système reste une poudrière.


Conclusion : Ignorer les signaux, c'est préparer la prochaine crise.

Alors, que faut-il conclure de tout cela ? Que le système est au bord de l'implosion imminente ? Pas encore. La Réserve Fédérale dispose encore d'outils pour intervenir. Mais le message envoyé par le marché est d'une clarté redoutable.

La mécanique est en place.

Un : la Fed resserre les liquidités, mettant la plomberie interbancaire sous tension.

Deux : cette contrainte pousse le crédit à se réfugier dans un secteur privé opaque et moins régulé, augmentant le risque systémique.

Trois : les acteurs les plus fragiles du système bancaire, les banques régionales, montrent déjà des signes de faiblesse évidents, menaçant le financement de l'économie réelle.

Le resserrement de la liquidité n'est pas une crise ouverte. C'est un symptôme. Le symptôme d'un système financier qui a fonctionné pendant plus d'une décennie sous perfusion d'argent facile et qui découvre aujourd'hui, avec douleur, le prix du sevrage.

Pour l'investisseur, comme pour le citoyen, le message est double. Il faut surveiller avec une vigilance accrue ces indicateurs techniques, car ce sont eux qui crieront les premiers si le château de cartes se met à trembler pour de bon. Et surtout, il faut comprendre que sous le capot d'une économie américaine en apparence solide, les fondations financières sont peut-être bien plus fragiles qu'on ne veut nous le faire croire. L'histoire économique nous l'a appris : ignorer les craquements de la structure est le plus sûr moyen de se retrouver sous les décombres. À suivre...

 


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