Trump nous fait « du Mitterrand ». Quand la réalité s’impose !
- Pascal
- 5 mai
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 4 jours

L'agitation actuelle sur les marchés financiers, alimentée par les perspectives d'une politique économique américaine disruptive, a un air de déjà-vu. Les annonces de tarifs douaniers, la rhétorique protectionniste et la remise en cause de décennies de libre-échangiste, s’ils créent une incertitude palpable, ont surtout un air de « remake ».
Pour comprendre où nous allons et comment peuvent réagir l’économie et les places boursières, nous devons plonger dans la France du début des années 80, sous la présidence socialiste de François Mitterrand. Nous devons même aller encore peu plus loin, dans la France du XVIIe siècle de Louis XIV et de son ministre Colbert.
Cela peut sembler étrange, mais les parallèles et les leçons à en tirer sont bien plus évidentes qu'on ne peut l’imaginer. Par conséquent, nous allons découvrir :
Le parallèle surprenant, avec le "tournant de la rigueur" de Mitterrand.
Le spectre du mercantilisme, qui semble inspirer Washington aujourd'hui.
Les scénarios pour l'avenir et identifier le chemin le plus probable avec ses conséquences pour nos investissements.
Ce voyage dans le temps pourrait bien détenir les clés pour mieux appréhender les turbulences et mieux positionner nos investissements.
1. Quand la réalité s'impose : Le "Tournant" de Mitterrand, un précédent à méditer ?
Mai 1981. La France porte au pouvoir François Mitterrand, porteur d'un programme socialiste ambitieux de rupture avec le capitalisme, incluant nationalisations et relance par la demande. Un vent d'espoir (ou de crainte, selon les bords) souffle sur le pays. Pourtant, moins de deux ans plus tard, la musique a radicalement changé. Nous sommes en mars 1983, et le gouvernement annonce le "tournant de la rigueur". Finie la relance keynésienne (déjà écornée dès janvier 1982), place à une politique d'austérité visant à maîtriser l'inflation, défendre le franc et rester arrimée au Système Monétaire Européen (SME).
Que s'est-il passé ? Une conjonction de pressions intenses.
Le Contexte international : Le "choc Volcker" aux États-Unis (hausse brutale des taux pour juguler l'inflation post-choc pétrolier) et l'ascension du dollar déstabilisent l'économie mondiale. Le SME, créé en 1979, traverse une crise majeure ("tour dramatique", "plus aigu depuis sa création"). Les monnaies fortes, comme le Mark allemand (renforcé par la politique rigoureuse du nouveau chancelier Helmut Kohl) et le florin néerlandais s'apprécient, mettant une pression insoutenable sur les maillons faibles : la lire italienne, le franc belge, et bien sûr, le franc français.
Les attaques spéculatives : Le franc subit des attaques répétées. Chaque mois, des notes de conseillers atterrissent sur le bureau de Mitterrand, préconisant une sortie du SME – une option qu'il refuse, soucieux de "ne pas isoler la France de la communauté européenne".
La réalité économique interne : La politique de relance initiale, dans un contexte international défavorable, a creusé les déficits et alimenté l'inflation, rendant la position du franc intenable sans un changement de cap radical. Même des alliés syndicaux comme la CFDT appellent à la rigueur dès début 1982.
Le "tournant de la rigueur" n'est donc pas un choix idéologique, mais une décision pragmatique, voire contrainte, dictée par les réalités économiques et la pression des marchés. Mitterrand, malgré son programme initial, choisit l'ancrage européen et la stabilité monétaire au prix d'une politique impopulaire et d'un reniement partiel de ses promesses.
Mitterrand, mais quel rapport avec Trump ?
Le parallèle n'est pas dans la nature des politiques (austérité vs protectionnisme), mais dans la dynamique du changement. Comment Mitterrand en son temp, l’idéologie initiale du programme de Trump a été rattraper par les réalités pragmatiques du terrain, les taux obligataires ont explosé, le dollar a perdu du terrain et Wall Street c’est effondré. Les milieux d’affaires ont tiré la sonnette d’alarme quand Trump a voulu s’en prendre au président de la FED, INENVISAGEABLE ou crime de lèse-majesté, la goutte d’eau de trop.
Les points de convergence entre les deux programmes (Trump et Mitterrand) sont les suivants :
Une rupture née d'un constat : Mitterrand agit face à une crise monétaire et une inflation galopante. Trump (et ses conseillers, comme Lutnick ou Bessent) agit face à ce qu'il perçoit comme les échecs de décennies de libre-échange : désindustrialisation massive (particulièrement post-entrée de la Chine à l'OMC en 2001), déficits commerciaux abyssaux (plus d'un trillion de dollars pour les biens en 2023), et érosion de la classe moyenne.
Un pragmatisme revendiqué (même si discutable) : Mitterrand a dû « ravaler » une partie de son programme pour sauver l'essentiel (c’est-à-dire l'ancrage européen). Trump, lui aussi est en train de « ravaler » ou mettre sur pose un programme qui ne fonctionne visiblement pas, mais qui fait surtout énormément de dégât à l’Amérique, aux Américains, à ses électeurs et les financeurs de sa campagne électorale.
L'Impact effrayant pour les marchés : La politique de Trump, par son ampleur potentielle (tarifs universels de 10-20%, jusqu'à 145% sur la Chine) et sa remise en cause de fonctionnement de l’économie mondiale, crée une incertitude majeure et porte un impact potentiellement colossal sur la supply chain mondiale. Comme à l’époque de Mitterrand (effondrement du Franc et sortie potentielle du SME) se sont les marchés qui ont été l’arbitre ou le juge d’une politique que l’on peut qualifier d’inadapté aux vues des résultats escomptés.
La leçon pour les investisseurs ? Les dirigeants politiques, même ceux affichant des convictions fortes, peuvent être amenés à opérer des virages stratégiques majeurs face aux contraintes économiques mal appréhendées, ou aveuglés par l’incarnation d’une idéologie.
2. Le retour du spectre mercantiliste : De Colbert à Trump, l’histoire se répète.
Pour bien saisir la logique derrière la politique commerciale envisagée par Trump, il faut dépoussiérer un concept économique bien plus ancien que le libre-échange : le mercantilisme.
Les Fondations (XVIIe - XIXe siècles) :
Colbert et la France de Louis XIV : Jean-Baptiste Colbert incarne cette doctrine au XVIIe siècle. L'objectif ? Renforcer la puissance de l'État-nation. Les moyens ? Accumuler des réserves d'or et d'argent (la richesse de l'époque) via un excédent commercial structurel. Cela passe par des droits de douane élevés sur les importations et des subventions aux industries nationales (le textile, par exemple). Une politique étatiste, dirigiste, visant l'autosuffisance et la grandeur nationale.
Hamilton et les jeunes États-Unis : Un siècle plus tard, Alexander Hamilton, premier Secrétaire au Trésor américain, adapte cette logique au contexte post-indépendance. Convaincu que la puissance industrielle est la clé de la souveraineté, il instaure dès 1789 des tarifs douaniers (Tariff Act) pour protéger les jeunes manufactures américaines de la concurrence britannique. L'objectif n'est pas tant l'accumulation de métaux précieux (comme chez Colbert) que la construction d'une base industrielle solide. Ce pragmatisme porte ses fruits : les États-Unis maintiendront des tarifs élevés tout au long du XIXe siècle (atteignant près de 50% fin 1890 avec les tarifs McKinley), période durant laquelle le pays devient un géant industriel.
L'Interlude Libre-Échange (XXe siècle) :
Le XXe siècle marque un tournant. La Première Guerre mondiale et ses coûts exorbitants poussent les États-Unis à introduire l'impôt sur le revenu (1913), réduisant la dépendance du budget fédéral aux recettes douanières. Après une brève résurgence protectionniste dans les années 1920 (culminant avec le désastreux tarif Smoot-Hawley de 1930 qui aggrava la Grande Dépression), le pendule repart vers le libre-échange. Inspirés par la théorie des avantages comparatifs de David Ricardo (les nations gagnent à se spécialiser là où elles sont les meilleures et à échanger), les États-Unis deviennent les champions de la libéralisation commerciale après 1945. L'idée maîtresse : l'efficacité mondiale prime sur les excédents nationaux. On importe ce qui est moins cher à produire ailleurs, on exporte ses points forts (machines, biens à haute valeur ajoutée). Les déficits commerciaux sont tolérés tant que l'économie globale est robuste.
Le choc chinois et la Revanche du Mercantilisme (XXIe siècle) :
L'entrée de la Chine à l'OMC en 2001 fait voler en éclats cet équilibre. Grâce à une monnaie jugée sous-évaluée et des subventions massives, la Chine inonde le marché mondial de produits bon marché. C'est une stratégie "néo-mercantiliste" redoutablement efficace : les exportations chinoises explosent, son industrie supplante des pans entiers de la production occidentale. Aux États-Unis, l'effet est dévastateur sur l'emploi manufacturier (chute d'un tiers entre 2000 et 2010), même si les consommateurs bénéficient de prix bas qui freinent l'inflation. Le déficit commercial américain avec la Chine atteint des centaines de milliards par an. La complémentarité ricardienne a laissé place à une substitution brutale.
C'est dans ce contexte que s'inscrit la réaction de Trump dès 2018, et ses projets pour 2025. Les tarifs élevés, la volonté de relocaliser la production, la rhétorique sur les "mauvais accords" commerciaux : tout cela résonne avec les vieilles recettes mercantilistes. Howard Lutnick, Secrétaire au Commerce, ne dit pas autre chose en affirmant que "les États-Unis ont été construits sur les tarifs". Il voit ces mesures comme un levier pour inverser les pertes d'emplois post-OMC et financer, potentiellement via un fonds souverain, la richesse future des citoyens américains. L'inflation ? Un "faux problème" lié à l'impression monétaire de la Fed, selon lui.
La leçon pour les investisseurs :
Comprendre que la politique de Trump s'inscrit dans une logique mercantiliste, c'est réaliser qu'elle n'est pas qu'une série de coups de tête imprévisibles. C'est une doctrine cohérente (même si controversée et potentiellement dommageable) avec ses propres objectifs. La manière (largement critiqué, sondages de popularité au plus bas) dont elle a été mise en place, justifiant la pose actuelle, va être corrigé et réadapté afin de repartir de plus belle, nous amène à aborder les scénarios possibles, mais surtout probables.
3. Trois scénarios sur la table et un chemin probable.
Face à cette résurgence mercantiliste et aux tensions géopolitiques qu'elle exacerbe (notamment avec la Chine), trois scénarios sont possibles, mais concentrons-nous sur le plus probable et ses implications.
Scénario 1 : L'apaisement. Washington, Pékin et Bruxelles négocient, font des concessions mutuelles. Le risque d'une guerre commerciale totale est jugulé, un cadre plus défini émerge. Le dollar regagne la confiance. Ce scénario "ne résout rien" sur le fond de la rivalité technologique et stratégique sino-américaine. La Chine a peu d'incitations à céder sur ses ambitions.
Scénario 3 : L'escalade. Les tensions montent, les coups pleuvent et les rapports de force augmentent (tarifaires, technologiques, voire militaires ?). Le monde bascule dans une confrontation ouverte, rappelant les années 1930. Les conséquences seraient désastreuses et difficiles à modéliser pour les marchés.
Scénario 2 : La discussion ratée (vers un monde multipolaire). C'est le scénario le plus probable. Les négociations piétinent, car l'enjeu majeur pour les US (le découplage avec la Chine) est inacceptable pour Pékin. La situation reste tendue, avec des tarifs ajustés au gré des rapports de force, mais sans coopération ni coordination globale. Le monde s'organise progressivement en blocs régionaux (trois ou quatre grandes zones) cherchant plus d'autonomie.
Décortiquons les conséquences de ce scénario médian, le plus plausible :
Un monde fragmenté : fini le village global interconnecté. Place à des zones d'influence plus marquées, avec des chaînes de valeur régionalisées. La coordination entre banques centrales, essentielle lors des crises précédentes, devient plus difficile. Le rôle du dollar comme monnaie de réserve universelle est questionné, même s'il n'a pas d'alternative crédible à court terme.
Inflation structurellement plus élevée ? La démondialisation a un coût. Relocaliser la production, dupliquer les chaînes d'approvisionnement, imposer des tarifs : tout cela renchérit les coûts de production. Ajoutez à cela les dépenses publiques en hausse pour la défense (comme le plan Merz en Allemagne, en réaction au désengagement américain perçu) et la transition énergétique, et vous obtenez un cocktail potentiellement inflationniste sur le long terme. Le FMI prévoit déjà une inflation à 3% aux US en 2025.
Croissance mondiale freinée : L'incertitude et les frictions commerciales pèsent sur l'investissement et les échanges. Le FMI anticipe un ralentissement de la croissance mondiale à 2,8% en 2025 (contre 3,3% en 2024), avec des révisions à la baisse pour toutes les grandes zones (US : 1,8%, Chine : 4%, Europe : 0,8%).
Endettement public accru : La "guerre tarifaire" et les dépenses associées (soutien à l'industrie, défense) pourraient aggraver l'endettement public mondial. Vitor Gaspar (FMI) alerte sur un possible ratio dette/PIB global de 117% d'ici 2027, proche des niveaux post-Seconde Guerre mondiale.
Stagflation, le scénario du pire ? Certains économistes évoquent un risque de stagflation (faible croissance + forte inflation), particulièrement aux États-Unis. Un tel scénario serait particulièrement néfaste pour l'ensemble des actifs obligataires, car il mettrait les banques centrales dans une position impossible (faut-il resserrer pour contrer l'inflation ou assouplir pour soutenir la croissance ?).
Conclusion : Naviguer avec les Leçons de l'Histoire.
L'analyse historique, du tournant pragmatique de Mitterrand à la longue histoire du mercantilisme de Colbert et Hamilton, nous aide à mieux contextualiser les politiques potentiellement disruptives de Donald Trump.
Il ne s'agit pas simplement d'imprévisibilité, mais souvent de l'application d'une logique économique alternative, ancrée dans une perception (contestable, mais cohérente) de l'intérêt national face aux défis de la mondialisation et à la montée en puissance de la Chine.
Pour nous, l'heure est à la lucidité et à la prudence active. Comprendre les forces historiques et économiques à l'œuvre est plus que jamais essentiels. L'Histoire ne se répète peut-être pas exactement, mais comme le disait Mark Twain, « elle rime souvent ». Sachons écouter ses rimes. À suivre...